Elle se réveilla dans un couloir, sur le sol dur et froid. Froid comme la mort. Jade se redressa en fronçant les sourcils, se demandant d'abord ce qu'elle faisait là. Elle pouvait vraiment dormir n'importe où... Le corridor était désert, il semblait faire encore nuit,  une ambiance morne et angoissante était au rendez-vous. Il y avait des bancs vides, et des salles juste en face de ceux-ci. Elle se leva et examina les portes, jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte de leur importance. Jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte de l'endroit où elle se trouvait. Jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte qu'elle tremblait. Jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte que les larmes qu'elle contenait en elle depuis deux ans remontaient.

Jusqu'à ce qu'elle voit la chambre quatre cent cinq s'ouvrir. Jusqu'à ce qu'une fille aux cheveux blonds n'apparaisse et ne bouge d'une manière macabre vers elle. Jusqu'à ce qu'un rire cristallin ne se fasse entendre. Elle ne bougea pas, trop clouée par l'émotion. Elle n'arrivait pas à analyser ce qu'elle venait de voir. 

«- L-Louise..?
- ... Oh... Tu n'es toujours pas crevée...»

Elle écarquilla les yeux, alors qu'elle apercevait ce fameux sourire qu'elle lui faisait auparavant se transformer en un sourire de psychopathe. Soudainement, alors qu'elle n'avait marché jusque là comme un zombie, elle lui sauta au cou et la fit tomber à terre. Elle aurait pu faire ce qu'elle savait le mieux faire : du judo. Mais son corps ne réagissait pas. Son esprit ne réagissait pas non plus.  Par terre, tête contre le carrelage, elle observait ce cadavre ambulant rire sans retenue. Elle était simplement habillée d'une robe blanche, transparente à certains endroits. Sa peau était aussi blanche que cet habit, on voyait toutes les veines en dessous. Son corps était recouvert de taches de sang, provenant d'on ne sait où. Ses yeux qui, avant, étaient verts clairs, n'avaient plus cette étincelle de vie qu'ils recelaient autrefois. Son visage était comme celui d'une poupée : inexpressif. Peut-être que Jade ne l'avouera jamais, mais elle n'avait plus rien d'humain. Un peu normal, dans son cas.

La blonde était à califourchon sur sa meilleure amie, tenant fermement son cou et le serrant de plus en plus. Peu importe comment elle essayait de desserer son emprise, elle n'y arrivait pas. Cette position ne gênait pas trop la jeune fille, étant donné qu'elle était habituée à toute sorte de contact physique. Mais ses joues étaient tout de même légèrement rouges, à cause de cette position et de l'étouffement qu'elle subissait. 
Alors c'est comme ça que je vais mourir ? 

«- Pourquoi t'es toujours pas crevée, sale chienne ! Hein, pourquoi ?! Pourquoi ça devait être moi, hein ?! Toi tu n'as jamais servi à rien, tu n'aurais jamais dû naître !»

Les larmes avaient coulé. Sa vue était devenue trouble à cause du liquide qui tombait de ses yeux, et qui s'écrasait lourdement sur le sol. Comment pouvait-elle dire ça..? Pendant six ans, elle l'avait aidé. Elle l'avait fait mangé lorsqu'elle ne pouvait plus saisir une fourchette, elle avait poussé son fauteuil roulant lorsqu'elle ne pouvait plus le faire, elle avait écrit ses cours lorsqu'elle ne pouvait plus tenir un stylo, elle l'avait changé lorsque sa mère ne pouvait le faire, elle la lavait lorsqu'elle en avait besoin, elle l'avait emmené aux toilettes lorsqu'elle n'arrivait plus à aller, elle lui racontait des histoires pour qu'elle s'endorme... Elle avait tout fait. Elle avait fait son maximum pour elle, jusqu'au point de ne plus aller au dojo ou en cours. 
Tout ça pour elle. Par amour et par amitié pour elle. Quelqu'un de "normal" aurait fui dès qu'il aurait sû qu'il devrait faire ça. Tout simplement parce que les gens sont des feignants, aussi. 

«- Et bien alors ? Tu t'es enfin décidée à la fermer ?
- Ta gueule.»

Elle l'avait dit durement, sèchement, de façon à ce qu'elle ne comprenne pas. Son regard qui, d'habitude, était rempli de tristesse, était devenu aussi impénétrable que froid. Pendant six ans, tout ce qu'elle avait fait... Ça ne l'avait même pas atteint ? Tout le temps qu'elle avait perdu... C'était en vain ?

«- Pardon ?! S'offusqua-t-elle.
- J'ai dit : Ta gueule. En plus d'être morte, t'es sourde ?»

Prise d'un élan de colère, elle faucha ses petites mains qui étaient restées autour de son cou, la fit basculer par terre et l'immobilisa. Elle se débattit en criant, mais elle ne lacha pas prise pour autant. Ce n'était pas pour rien qu'elle allait bientôt passer son examen pour obtenir sa ceinture noire. 

«- Maintenant, ferme ta gueule ! Arrête de me hanter tout les jours, merde ! 
- Genre tu penses à moi. T'as jamais rien foutu, t'as jamais montré que tu tenais à moi !
- Quoi ?!»

Elle en revenait pas. C'était vraiment dégueulasse pour elle, de dire ça. Après tout ce qu'elle avait subi. Après toute les souffrances morales qu'elle s'était infligé. Avec sa confiance en elle au plus bas, sa vision d'elle-même au plus bas, son moral au plus bas et son envie suicidaire au plus haut.

«- Depuis ce putain d'anniversaire, je me mutile ! Je me suis scarifiée les cuisses, je me suis taillée les veines, je ne dors plus sans somnifères, je suis devenue insomniaque, je pense chaque secondes à toi, j'ai peur de me faire des amis de crainte à ce qu'ils ne crèvent comme toi ! Je t'ai toujours aimé, et je t'aime encore ! Tu peux pas sortir de ma tête ? Tu peux pas me laisser tranquille ? À un moment, j'achetais même des cigarettes et je me les éteignais sur les bras ! J'ai arrêté le foot pour toi, je me suis fais du mal pour toi, j'ai assumé mon orientation sexuelle pour toi, tu veux quoi maintenant, merde ?! »

C'était sortit. Tout ce qu'elle avait toujours désiré crier au monde. Ce qu'elle faisait dans sa chambre, dans le noir, pendant deux ans. C'était même devenu étrange qu'elle ne soit pas encore morte. De chagrin et de douleur. Elle chialait à chaudes larmes. Elle chialait comme une gosse. Elle avait sûrement l'air pathétique. À pleurer pour elle, à pleurer pour ce qu'elle avait fait pour elle. Son interlocutrice n'avait pas bougé, au contraire. Son sourire s'était agrandi.

«- Moi, je veux juste que tu crèves.»

Elle se réveilla en sursaut. Son oreiller était tout mouillé à cause des larmes qui n'avaient cessé de couler, son regard parcourait sa chambre à sa recherche. Elle mit sa tête dans ses mains et cria un bon coup. Voilà pourquoi elle était  devenue insomniaque. Ses yeux devaient être tout rouges, à présent... Elle sentait encore ses mains sur son cou. Elle frola par inadvertance son poignet gauche, et elle échappa un gémissement de douleur. Elle avait oublié à quel point cela faisait mal...

Mais mis à par sur ses cuisses et sur ses bras, il y avait une autre marque. Génial... Elle allait devoir porter une écharpe même en été... On aurait pu la confondre avec une lacération tellement elle était voyante. 
La marque. C'était celle de mains sur son cou, serrant de plus en plus fort, jusqu'à l'étouffement. 

Parce qu'il y avait une raison pour laquelle elle aimait toujours Louise. Déjà, elle était tombée amoureuse d'elle par inadvertance. Elle était souriante, joyeuse, pleine de vie, drôle, belle. Même si elle était égoïste, extrèmement possessive et jalouse, Jade avait trouvé ce côté là "mignon". Mais même en essayant d'oublier, elle l'aimait.
Tout simplement parce qu'elle ne pouvait pas croire qu'elle était morte.